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littérature française - Page 152

  • Finesses

    « Rien n’est si facile et si commun que de se duper soi-même quand on ne manque pas d’esprit et quand on connaît bien toutes les finesses de la langue. C’est une reine prostituée qui descend et s’élève à tous les rôles, qui se déguise, se pare, se dissimule et s’efface ; c’est une plaideuse qui a réponse à tout, qui a toujours tout prévu, et qui prend mille formes pour avoir raison. Le plus honnête des hommes est celui qui pense et qui agit le mieux, mais le plus puissant est celui qui sait le mieux écrire et parler. »

    George Sand, Indiana 

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    Portrait de Sand par Musset
    (Chroniques de la costumerie)

     


  • Premier roman

    « Indiana ou la naissance d’un écrivain » : c’est ainsi que Béatrice Didier présente Indiana, le premier roman que George Sand « écrit intégralement seule et qu’elle publie sous un nom qui va devenir définitivement le sien. » Aurore Dupin, baronne Dudevant, alias George Sand, a raconté dans Histoire de ma vie comment elle partageait alors son temps entre Paris (deux fois trois mois par an) et Nohant, où elle n’avait pas de chambre à elle et se contentait pour écrire d’une « petite armoire » qui lui servait de bureau. 

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    C’était son arrangement avec Casimir Dudevant, son mari. Jules Sandeau, son amant, avait signé Rose et Blanche qu’ils avaient écrit ensemble, du seul nom de Jules Sand. Sur le conseil de son maître Henri de Latouche, écrivain et journaliste, elle choisit un autre prénom. Jules reprendra bientôt son nom complet pour éviter toute confusion.

    Pourquoi un prénom masculin pour cette « enseigne » qui va bientôt lui valoir son indépendance économique ? « Ce n’était plus le nom de son mari ou de son père qu’elle portait. C’était le sien. » (B. Didier) Elle ne s’en est jamais vraiment expliquée : désir de se démarquer d’un certain style féminin ? de se donner le droit de parler de tout ? d’être prise au sérieux ? plaisir d’emprunter le point de vue de l’autre ?

    Dans Indiana, elle est en effet bien davantage le narrateur que l’héroïne ; dans la version originale, ses interventions ironiques à la Diderot sont d’une « insolente liberté à l’endroit de son lecteur et de ses personnages. » (B. Didier) George Sand n’a pas la naïveté d’Indiana, Bovary avant l’heure qui souffre de sa vie étroite d’épouse esclave et rêve d’amour idéal. 

    La première préface du roman (1832) insiste sur la volonté de peindre une réalité mais aussi sur la dimension mythique : « la loi », « l’opinion » et « l’illusion », voilà pour les trois hommes et en face d’eux, « la femme » en position de faiblesse, « la volonté aux prises avec la nécessité ». Dix ans plus tard, George Sand a évolué vers le féminisme et vers le socialisme. La préface de 1942 la montre en avocate des souffrances et des passions « devant le tribunal de la force et de l’opinion », cherchant à « concilier le bonheur et la dignité des individus opprimés » par la société. « Car le malheur de la femme entraîne celui de l’homme, comme celui de l’esclave entraîne celui du maître, et j’ai cherché à le montrer dans Indiana. » En 1852, l’écrivaine s’en prend aux critiques qui y voient un « plaidoyer bien prémédité contre le mariage », des « intentions subversives » dans lesquelles elle ne se reconnaît pas.

    L’intrigue se déroule en trois lieux : La Brie, Paris, La Réunion. « A chaque voyage correspond une évolution, une transformation des psychologies. » (B. Didier) Dans un « petit castel » de province vivent trois personnages. Le colonel Delmare est le plus âgé, « vieille bravoure en demi-solde », « excellent maître devant qui tout tremblait, femme, serviteurs, chevaux et chiens. » Indiana, sa femme « toute fluette, toute pâle, toute triste », n’a que dix-neuf ans. Un jeune homme aux traits fades complète le tableau, c’est le cousin anglais et ami d’enfance d’Indiana qui habite avec eux. La façon dont le mari menace de son fouet la chienne qui les a suivis au salon, avant que sir Ralph ne s’interpose et la fasse sortir, suffit à résumer la situation.

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    La santé de Madame Delmare n’est pas brillante, même si elle a tout pour être heureuse, l’aisance, un mari excellent et un ami sincère. Noun, la sœur de lait d’Indiana, « grande, forte, brillante de santé, vive, alerte, et pleine de sang créole ardent et passionné », veille sur elle. Un soir, M. Delmare sort dans le parc à la recherche d’un voleur et rentre avec un blessé, « un jeune homme de la plus noble figure, et vêtu avec recherche » tombé d’un mur quand le plomb a atteint sa main – le jardinier tire son maître à part, il a reconnu un jeune propriétaire voisin qu’il avait vu parler à Noun à une fête champêtre, quelques jours avant. 

    M. de Ramière prétend être entré dans la propriété par curiosité pour l’usine de M. Delmare, réputée et bien plus rentable que celle de son frère qui en possède une du même genre dans le Midi de la France. Repoussé à l’entrée, il s’y est introduit de nuit, déterminé « à voler son secret ». Ramière a ainsi plus ou moins sauvé les apparences. La beauté de Noun l’a séduit, mais bientôt l’orgueil, ses préjugés de classe le détournent de la femme de chambre.

    A un bal parisien, il reconnaît sans la situer une jeune femme « toute petite, toute mignonne, toute déliée », il se renseigne : « la belle Indienne »,  c’est madame Delmare, parée avec une simplicité qui la distingue des autres femmes. Quand sa tante, madame de Carjaval, s’éloigne, Raymon en profite pour lui faire la cour. Noun est oubliée.

    L’honorable madame de Carvajal n’avait pas vu d’un bon œil sa nièce arriver en France mariée au colonel Delmare, « une chétive alliance », mais celui-ci fait prospérer la fabrique qu’elle a acquise pour eux. Trois jours après le bal, Raymon de Ramière se présente chez elle, demande après madame Delmare. Indiana n’a jamais reçu d’affection. Son père, planteur aux colonies, était rude et violent, et « en épousant Delmare, elle ne fit que changer de maître ; en venant habiter le Lagny, que changer de prison et de solitude. » Elle ne l’aime pas, elle obéit.

    Depuis toujours, elle n’est qu’attente du jour où quelqu’un l’aimera vraiment et la délivrera de cette servitude. Comment résister à l’homme qui lui déclare que sa vie est désormais liée à la sienne, que leurs âmes sont fiancées par le destin ? Indiana est trop fragile pour ne pas être bouleversée. Noun, trahie, se suicide.

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    A la fin de la première partie du roman, qui en compte quatre, la question en suspens est de savoir si, oui ou non, Indiana connaîtra le grand amour. Que lui vaudra le beau ramage de Raymon ? Quelles sont les véritables motivations du cousin Ralph, le protecteur discret de sa cousine ? C’est romantique et parfois rocambolesque. Comme dans Paul et Virginie – George Sand s’y réfère à plusieurs reprises – l’amour et la mort ont besoin d’un beau décor naturel, et quoi de mieux qu’une île pour accomplir sa destinée ?

    Hors l’histoire sentimentale, Indiana vaut pour la description d’une société conventionnelle, d’une nature refuge, de caractères qui évoluent. George Sand y embrasse la cause des femmes : elles ont droit au respect, comme les hommes, et à la liberté de vivre et d’aimer.

  • Valeurs

    « Je suis toujours émerveillé, à chacun de mes voyages, non par l’arrogance des « nouveaux Russes » qui existent en effet, mais en minorité, émerveillé et ému quand je vois où se porte l’intérêt d’un habitant de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. La nourriture, l’argent, les vacances sont pour lui des nécessités, non des valeurs. La lecture, le théâtre, la musique, la marche dans les forêts, la cueillette des champignons, la solidarité familiale, l’hospitalité, quels que soient la condition sociale et les revenus, voilà les valeurs russes. » (« Dieu »)

    Dominique Fernandez, Dictionnaire amoureux de la Russie 

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  • Amoureux de la Russie

    Tous les matins, depuis trois mois, j’ai commencé ma journée avec un article du Dictionnaire amoureux de la Russie (2004), un régal pour qui aime ce pays, pour qui a la chance de le visiter, pour qui a envie de le découvrir. Rien que du bonheur à le relire presque huit ans après deux magnifiques voyages, à Moscou puis à Saint-Pétersbourg. Une façon aussi de retrouver les deux organisatrices de ces séjours inoubliables, mes amies disparues à qui je dédie ce billet. 

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    Bulbes à Novodevitchi (Moscou)

    Dominique Fernandez, en avant-propos, explique qu’avant son premier voyage en Russie en1986, il avait été « profondément marqué dès l’adolescence par la littérature russe. » Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, lus en rhétorique pour ma part, sont des écrivains qui marquent, surtout portés par un professeur passionné par la culture russe – elle emmenait parfois ses élèves aux séances de cinéma des Amitiés belgo-soviétiques.

    C’est l’amitié d’un étudiant russe à Paris, dont la famille lui a donné la chaleur qui lui manquait chez lui, qui a scellé « l’immense tendresse » de Fernandez « pour la façon de vivre russe, la culture russe. » Guide excellent et enthousiaste, l’écrivain et critique français nous emmène de « Akhmatova (Anna) » à « Zavtra », « demain » en russe. 

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    Au Musée Anna Akhmatova (Saint-Pétersbourg)

    Le Dictionnaire amoureux de la Russie, illustré de dessins signés Catherine Dubreuil, s’ouvre sur une poétesse. A propos puisque Ahkmatova est pour Soljenitsyne « l’âme de la Russie ». Dominique Fernandez aborde la littérature (environ la moitié des entrées) avec amour, sans complaisance. Il ne présente pas les écrivains de façon encyclopédique, il les a lus, et il a ses préférences. A côté des plus grands, dont Pouchkine, l’écrivain phare aux yeux des Russes, il nous incite à découvrir d’autres écrivains russes moins connus, comme Ivan Bounine ou Iouri Kazakov, et aussi des essais ou des romans étrangers consacrés à la Russie. De larges extraits parfois, par exemple de Vassili Grossman sur la bonté, « l’humble bonté individuelle » opposée au « Bien » imposé par les Etats totalitaires.

    Parmi les autres champs culturels russes ici parcourus, la musique vient en premier : « Le peuple russe est le plus mélomane du monde. » La Russie a donné tant de compositeurs, d’interprètes, de voix incomparables. Fernandez parle en connaisseur des opéras, notamment du « plus bel opéra du monde » à son avis, Eugène Onéguine de Tchaïkovski, dont il aborde aussi la personnalité tourmentée. « Aujourd’hui encore, la plupart des Russes ignorent que Tchaïkovski était homosexuel et, lorsqu’on le leur apprend, ils pensent que l’on veut profaner sa statue. » 

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    Statue de Pouchkine sur la Place des Arts (Saint-Pétersbourg) 

    On ne résume pas un dictionnaire. Certains articles sont lus plus vite que d’autres, certains sont lus et relus, on y coche des passages, on sait qu’on y reviendra. Fernandez parle de la danse, des icônes et de la peinture – « le domaine de la culture russe le plus négligé par le public occidental » ; de belles pages sur Isaac Levitan –, du cinéma. Des sujets qui fâchent, sans langue de bois : « Antisémitisme », « Homosexualité », « Tchetchénie »… De la vie quotidienne : « Blague » (« Sport national russe »), « Famille » (« Rien n’est plus éloigné de l’ancienne cellule bourgeoise française, close et étouffante, que la famille russe. »).

    Ce Dictionnaire amoureux de la Russie mérite une place dans la valise, pour le plaisir de lire ou relire sur place les articles sur Moscou et Saint-Pétersbourg (dissocié de l’entrée « Leningrad »), sur les villes de l’Anneau d’or – « Le charme de Souzdal, comment le décrire ? » – et d’autres d’où Fernandez a ramené ses impressions de voyage. Pour l’année France-Russie 2010,  il était un des quatorze écrivains français à bord du Transsibérien, aventure qu’il évoque en recevant Danièle Sallenave à l’Académie française : « Madame, nous nous sommes connus dans un train. Nous avons parcouru ensemble, pendant trois semaines, 9 288 kilomètres, traversé l’Oural, la taïga et la steppe, relié l’Europe à l’Asie, franchi des fleuves larges de trois kilomètres, longé un lac long de huit cents kilomètres, nous arrêtant dans des gares en forme de palais russe, de château cosaque, de mosquée, de locomotive, sans nous douter que cette épopée ferroviaire, cette magnifique aventure du Transsibérien, aboutirait pour vous, Madame, à la plus prestigieuse de toutes les gares au monde, la Coupole que voici. » (29/3/2012) 

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     Vue de Souzdal

    Un index des noms de personnes, un autre des noms de lieux précèdent la table : une centaine d’entrées. C’est le sous-titre du Voyage d’Italie de Dominique Fernandez qui a inspiré le nom de cette belle collection chez Plon : « Un Dictionnaire amoureux est le contraire d’un dictionnaire, car il est toujours imprévisible. On se promène dans le jardin secret d’une personnalité, d’un écrivain surtout, puisqu’il s’agit avant toute chose de littérature, évasion garantie. » (BiblioMonde

  • Cygnes

    J’ai vu des cygnes blancs
    Striés de bleu 
    Couronnés d’or 
    Et des mouettes endeuillées 
    Assises au bord 
    De l’eau claire 

    Rouge-Cloître Cygnes.jpg

    J’ai vu des oiseaux noirs 
    Dont j’ignore le nom 
    Qui volaient lentement 
    Au ras de l’étang 
    Tandis que dans mes yeux 
    Des étoiles brillaient 

    Rouge-Cloître Sur l'eau.jpg 

    Imperceptiblement 
    Je m’endormais 
    Sur l’un des bancs 
    En bois vert du ponton

    Jacques Herman, Cygnes blancs striés de bleu